Par exemple 2

Bernard C. est décédé dans la cinquantaine. Son épouse et ses enfants m’ont demandé de rédiger ce livre pour conserver son souvenir. Je suis allé interroger les personnes qui l’ont connu. Ici, ses parents.

1953 – 1967, l’enfance à C.

 

2- Témoignage d’Huguette et Emilien

 

Bernard est né le dimanche 9 août 1953, or « dimanche d’été » est synonyme de fête de village dans la campagne française. Et le hasard a voulu que Bernard vienne au monde le jour même de la fête de notre village : C. en Gironde. Ce n’est pas anecdotique tant on a vu que les fêtes de pays ont eu une grande importance dans notre vie et qu’elles en auront dans la jeunesse de Bernard.

Dix mois après Bernard, naîtra M., sa sœur, sa quasi jumelle dont on reparlera abondamment. Il n’y eut pas d’autres enfants car nous devions nous occuper des grands parents qui prenaient de l’âge et tombaient facilement malades. C’était très prenant. La grand-mère se déplaçait en se tenant au dossier d’une chaise, s’en servant comme d’un déambulateur. En plus des grands parents, il fallait aussi prendre en charge la sœur de la grand-mère et la mère du grand père.

Lorsque les enfants étaient petits, ils effeuillaient le tabac à la métairie. C’était une sorte d’amusement pour eux car il n’y avait pas d’autres distractions et cela nous arrangeait bien.

On commençait l’école à 6 ans par le cours préparatoire car l’école maternelle n’existait pas.

Bernard a suivi l’école primaire à C.. Il ne se forçait pas, n’a pas été spécialement brillant mais n’a jamais redoublé.

L’école primaire se trouvait à plus de deux kilomètres de la maison et les routes n’étaient pas goudronnées. Lorsqu’il était au CP, c’est moi, Huguette, qui emmenait Bernard à l’école à vélo. La famille n’avait pas de voiture et la première Mobylette que nous sommes parvenus à acquérir le fut avec « l’argent des cèpes». Nous connaissions les coins à champignons du village et nous allions vendre notre cueillette à L.. Un jour que celle-ci fut particulièrement abondante, nous avons pu acheter le vélomoteur.

Quand il faisait beau, les enfants revenaient déjeuner à la maison mais l’hiver, ils restaient au cœur du village et ils mangeaient dans le bistrot où la patronne faisait réchauffer la gamelle que les enfants avaient apportée. Elle rendait ce service en échange de quelques œufs.

Rapidement, Bernard et M. ont utilisé leurs propres vélos pour se rendre seuls à l’école. A cette époque, les enfants de la campagne n’avaient pas du tout de jouet, hormis des échasses qu’Émilien avait fabriquées lui-même et un ballon.
Les piscines n’existaient pas et, pour la baignade, il fallait se rendre à la plage au bord du lac d’Hourtin ce qui arrivait une fois par an. On partait après la traite du matin et on rentrait avant celle du soir.

Les jeux à l’époque se résumaient au cache-cache dans les meules de foins puis, plus tard, les patins à roulettes. Il n’y avait pas beaucoup de risque à pratiquer sur la route car les voitures étaient rares. L’une des seules à passer était celle du boulanger, deux fois par semaine, qu’on entendait de loin car il livrait le pain dans une vieille guimbarde. Les grosses miches de pain devaient pouvoir se conserver plusieurs jours.

On jouait à l’école en écrivant et dessinant. Les enfants avaient enduit de noir le portail du séchoir afin qu’il ressemble à un tableau. En l’absence de craie, on se servait de bouts de bois ou de caillou pointu pour écrire sur ce tableau de fortune. Plus tard, j’ai fabriqué une balançoire pour les gamins.

A l’école, les garçons jouaient aux billes, qu’on appelait « gates », sans doute pour agates.

Bernard était un enfant extrêmement respectueux. Jamais une mauvaise parole et ses bêtises étaient bénignes, la pire a du être de renverser une boite de clous. Étant petit, il ne refusait jamais d’aider comme, par exemple, d’aller chercher de l’eau au puits avant que l’eau courante ne fût installée. Il avait toujours une manière positive de s’exprimer, par exemple, il entrait dans la cuisine en disant « Ah ! Maman ! ça va être bon ce que tu prépares. »

Bernard, petit, était tellement gentil que les animaux l’aimaient bien. Il avait toujours une poule avec lui et la poule ne bougeait pas alors que moi, Huguette, quand je voulais m’approcher, les poules s’enfuyaient. Il s’asseyait sur les marches du perron et la poule restait là, à côté de lui et ils passaient leur temps à se regarder. Je me disais ‘Mais c’est pas possible’. Lorsque j’avais besoin d’attraper une poule pour la tuer, je disais à Bernard ‘Tu vois cette poule, elle a mal, je dois la soigner, tu veux bien l’attraper pour moi ?’ et il l’attrapait de suite. »

Il y avait un chien à la maison auquel les enfants étaient très attachés. Bernard avait un contact magique avec les animaux et en particulier avec ce chien. Lorsque Bernard était encore tout petit et qu’on se demandait où il était passé, le chien le ramenait en le poussant du museau.

Bernard n’a pas eu d’ennui de santé dans son enfance, mis à part les maladies infantiles habituelles.

Dans les années cinquante, on mettait des sabots. Pour ne pas avoir mal, il y avait des feutres. On ne possédait pas de bottes pour aller dans les champs et la terre humide collait au bois des sabots, c’était affreusement lourd. Petit, Bernard a aussi porté des sabots. Le landau qu’on voit sur les photos appartenait à la famille au sens large : on se le repassait à la naissance d’un enfant.

La roue de la brouette n’était pas en caoutchouc mais en bois ce qui rendait le travail bien pénible. De même, les tronçonneuses n’existaient pas, on utilisait la scie ou le passe-partout.

On vendait le lait de nos vaches et la laitière venait en prendre livraison à 5 heures du matin afin de le vendre à L.

Le premier tracteur que j’ai acheté n’était pas bien puissant. Pourtant, il m’a fallu vendre les vaches pour l’acquérir et, malgré tout, il manquait encore de l’argent. Alors je suis allé au Crédit Agricole voir le « président » qui m’a dit « Drôle, je te prête 3000 francs sans intérêt si tu me les remets dans trois mois. ». Heureusement, c’était l’été alors je suis allé couper du foin à droite et à gauche, nuit et jour, en ne dormant qu’une heure par nuit et trois mois après les 3000 francs étaient remboursés.

A cette époque-là, j’étais jeune et je ne comptais pas mes heures lorsque je travaillais. Je faisais mes 35 heures en deux jours. Une nuit, alors que je fauchais un pré à 2 heures du matin, je me suis endormi sur le siège du tracteur. J’ai été réveillé par un grand bruit : j’avais percuté un piquet.

Lorsqu’on plantait le tabac, c’est Bernard -alors âgé de douze ou treize ans- qui conduisait le tracteur. Avant on repiquait le tabac à la main mais grâce à ce tracteur et à une machine achetée en coopérative avec d’autres cultivateurs, on gagnait un temps fou.

Et l’on ne peut pas dire qu’on se reposait l’hiver des fatigues de l’été car la culture du tabac exigeait qu’on travaille à la morte saison : le soir après le souper, après que les petits étaient couchés, nous nous rendions dans la propriété voisine dont nous étions aussi les métayers pour y faire les « manoques » c’est-à-dire compter 24 feuilles de tabac et les lier. Jusqu’à onze heures ou minuit. Et le matin, il fallait se lever pour traire les vaches. Parfois Huguette lavait le linge en pleine nuit. La première machine à laver n’est arrivée que plus tard, lorsque la maladie du grand père a empiré et que celui-ci a voulu faciliter la vie de la famille.

Lorsque Bernard est né, l’eau courante n’était pas installée, il fallait tirer de l’eau grâce à une manivelle et un seau au puits ou, pour les plus riches, avec une pompe.

Bernard a suivi le catéchisme étant petit car nous sommes catholiques. Émilien était encore enfant de choeur – sacristain à 20 ans. Par la suite, Bernard n’a pas beaucoup pratiqué la religion mais il a toujours été très respectueux des soeurs, par exemple.

En 1961 Martine a sept ans, son artère pulmonaire était tellement rétrécie que le sang ne passait plus. Il n’y avait même pas besoin de stéthoscope pour s’en rendre compte. Martine était terriblement amaigrie et sans une opération rapide, elle serait décédée. L’intervention, qui a duré sept heures et demie, a eu lieu à Bordeaux et il s’agissait d’une des premières opérations à cœur ouvert.
Bernard a très mal vécu cet épisode car les rapports entre le frère et la sœur étaient fusionnels et voir la petite souffrir lui était insupportable. A l’hôpital, Martine a demandé « Bernard, peut-il rester avec moi ? » mais ce n’était pas possible. Bernard ne voulait pas s’extérioriser mais il était évident qu’il souffrait de voir sa sœur ainsi. Lorsqu’il est venu visiter sa sœur, il a dû écourter car il ne supportait de voir sa sœur avec des tas de tuyaux partout « Maman, tu veux bien sortir avec moi ? » nous demanda-t-il.

Cette opération chirurgicale marque une rupture dans l’histoire de la famille : pendant les années soixante, on cherche à vendre la propriété de Coimères, les grands-parents décèdent, Émilien devient chauffeur de car scolaire à temps complet, et on achète la maison de Roaillan avec une jolie surface autour. Auparavant Émilien était déjà chauffeur de car mais il partageait son temps entre la métairie et le garage.

Nous avons eu la télévision vers le début des années 60 car le grand-père qui était tombé malade en avait acheté une, c’était un moyen pour lui de passer le temps. Cela a d’ailleurs coïncidé avec l’opération de Martine.

Bernard n’était pas très expansif, il ne parlait pas de ce qui se passait à l’école primaire.
Il n’y avait que deux classes, les petits et les grands. Autant cela s’est bien passé avec la maîtresse des petits autant, arrivé dans la grande classe, l’instituteur avait pris Bernard en grippe, peut-être parce que, en tant qu’adjoint au maire, j’avais eu un différend avec le maître au sujet de l’aménagement de l’école.

L’instituteur ne s’occupait pas vraiment de Bernard et ne voulait pas qu’il passe le certificat d’étude ce qui était aussi le cas d’une autre camarade de sa classe. Le frère de cette fille est venu trouver Huguette en lui disant « le maître n’a pas le droit d’empêcher Bernard et ma sœur de passer le certificat d’études. ». Les parents ont insisté, les deux élèves ont passé l’examen et ont obtenu le diplôme.

Au collège, en revanche, on le verra pus tard, cela s’est très bien passé.

A cette époque, les enfants ne partaient pas en vacances sauf Martine qui devait aller en colonie sanitaire chaque année à la suite de son opération. Une année, Bernard devait, lui aussi, bénéficier de ce genre de séjour pour enfants, en effet, le curé de Langon organisait une colonie. Il était prévu que Bernard et Martine y participent ensemble. Pour le garçon c’était une grande première car il n’avait jamais vraiment quitté la maison. Le matin du départ arrive et Bernard se retrouve couvert de boutons. On l’a amené quand même au lieu de rendez-vous mais, là, le prêtre a déclaré « Non, non, je ne peux pas le prendre avec tous ces boutons. C’est impossible, il est malade. ». Martine n’était pas trop contente de partir sans son frère.
Rentré à la maison, Bernard était guéri d’un seul coup : plus de boutons. Finalement on a compris qu’il ne voulait pas y aller et que cette appréhension lui a donné une éruption cutanée. Il devait sans doute trouver que trois semaines loin de sa campagne, c’était trop long. Il se sentait trop bien à la maison. Ainsi, il n’est jamais vraiment parti en vacances étant jeune.