M. M. a vécu de nombreuses aventures dans sa jeunesse. La plus dramatique est l’arrestation de sa maman lors de la rafle du Vel d’Hiv en 1942. Il la raconte avec les yeux de l’enfant de 7 ans qu’il était alors et qui en réchappe par miracle.
Un autre extrait de ce livre, qui sera aussi édité et imprimé à Bangkok nous montre M. en inde dans les années 50, lors d’un voyage initiatique Grâce aux nombreuses photos et documents qu’il a conservés, cet ouvrage est largement illustré.
La rafle du Vel d’Hiv
Je ne sais que très peu de choses de ma mère. Elle est arrivée directement de Pologne en France en 1933 où elle a rencontré très rapidement mon père et ils se sont mariés… un mois avant ma naissance en 1934.
Né en France de parents étrangers, je pouvais devenir français soit à ma majorité, soit à ma naissance si mes parents en faisaient la demande. C’est la démarche qu’ils ont effectué et voici le document qui établit ma nationalité française.
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En mai et juin 1940, alors que je n’avais que cinq ans et demi, je me souviens que nous devions descendre à la cave à chaque fois que le Service de la Défense Passive lançait la sirène en raison d’un bombardement imminent. On nous avait au préalable distribué des masques à gaz que nous devions porter, en effet, on craignait que les Allemands utilisent des armes chimiques comme ce fut le cas pendant la première Guerre Mondiale. Finalement les Nazis n’ont pas eu recours à de telles extrémités et les masques à gaz n’ont servi à rien mais nous ne le savions pas et, donc, les avons portés lors de ces alertes.
On me voit ici à quatre ou cinq ans. Blond et joufflu.
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À Paris, j’ai porté l’étoile jaune à partir de la fin mai 1942 mais la maîtresse et les autres enfants à l’école se sont toujours comportés gentiment avec moi. Je n’ai jamais été traité de « Sale Juif ». De toute façon, à ce moment-là, je ne connaissais même pas la signification du mot « juif ».
Si je n’ai pas été maltraité par mes voisins, condisciples ou mon institutrice, je pense que je le dois à mon physique qui ne correspondait pas du tout aux caricatures que la propagande antisémite colportait : les Juifs étaient censés avoir le teint olivâtre, le nez crochu, les cheveux noirs alors que j’étais un garçonnet blond aux yeux bleus et au sourire avenant.
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La rafle du Vel d’Hiv a eu lieu les 16 et 17 juillet 1942.
Dès 1940, mon père se trouvait déjà dans la clandestinité car il avait refusé de se rendre à une convocation de la police française –relative à sa nationalité, sa confession et ses activités- et avait préféré fuir. Il ne vivait plus à la maison, ne venant que de façon inopinée et en pleine journée car c’était moins risqué que pendant la nuit, à cause du couvre-feu.
Il est passé nous voir le 16 juillet ayant entendu une rumeur faisant état d’une vague d’arrestations de juifs étrangers prévue la nuit suivante. Il avait tenu à être présent. Il présumait que si on ne répondait pas lorsque les officiers de police venaient frapper, ils n’enfonceraient pas la porte. Cette technique s’est avérée efficace dans de nombreux cas lors de ces funestes journées. Si on ne faisait pas le moindre bruit, la police ne forçait pas la porte et s’en allait.
D’ailleurs mon père et la concierge de notre immeuble, de son vrai nom, Mme Coco, qui n’appréciait pas les lois antisémites, avaient élaboré la stratégie suivante : comme notre appartement se trouvait au premier étage exactement au-dessus de sa loge, Mme Coco devait taper au plafond avec son balai lorsque les policiers arriveraient ; ce qui nous aurait donné le temps de faire le silence total et ma mère n’aurait pas ouvert la porte. S’ils étaient venus de nuit, la concierge les aurait entendus de manière certaine.
Malheureusement, la rafle n’a pas été nocturne dans notre quartier et la concierge, occupée ailleurs, n’a pas vu les policiers arriver. Ces derniers, en tenue, se sont présentés chez nous à sept heures et demie, donc il faisait grand jour et nous n’étions plus sur nos gardes. Mon père, quand même, s’est caché dans le cagibi comme il le faisait systématiquement lorsqu’on frappait à la porte, en revanche ma mère ne s’est pas méfiée et leur a ouvert. Deux policiers français en tenue, par ailleurs polis, sont alors entrés. Je me souviens avoir pleuré, non pas à cause de leur mission –que je ne pouvais pas comprendre- mais parce que les uniformes m’ont effrayé. Ils venaient arrêter la famille. Ma mère leur a demandé où nous serions emmenés. Ils ont répondu qu’ils ne le savaient pas, ce qui était probablement vrai.
« Où se trouve votre mari ?
– Je ne sais pas. Sans doute en province. Je n’ai pas de nouvelles de lui depuis plusieurs mois. »
Ils n’ont pas fouillé le logement. Mon père n’a pas fait le moindre bruit et les policiers n’ont pas tenté d’ouvrir la porte du débarras. Ils ont cru ma mère.
« Faites un petit baluchon pour vous et votre enfant. Prenez des affaires pour deux ou trois jours. »
« Puis-je laisser mon enfant aux voisins ? »
En effet, ma mère se doutait bien que lorsque des policiers venaient arrêter des Juifs, Polonais de surcroît, dans le Paris de 1942, cela ne disait rien qui vaille.
Nous avions pour voisin un Italien qui avait, comme mon père, épousé une Juive polonaise mais sa nationalité italienne, donc fasciste, leur garantissait l’immunité à tous les deux. Ce couple était d’accord pour signer n’importe quel document dans le but de m’adopter.
Les policiers ont refusé parce qu’ils n’avaient pas d’ordre dans ce sens.
Ma mère a commencé à rassembler des vêtements. Je continuais de pleurer à cause des uniformes qui m’effrayaient. Et sur ces entrefaites, mon grand-père paternel, qui avait aussi entendu parler de la rafle et qui avait mal dormi, est arrivé. Il était huit heures moins le quart alors qu’il était prévu qu’il ne viendrait qu’en début d’après-midi. S’il y avait eu une panne de métro ou qu’il soit arrivé quelques instants plus tard, je ne serais pas là pour raconter cette tragédie, aujourd’hui.
Ma mère a expliqué tout ce qui se passait à son beau-père, en polonais, afin que les policiers ne puissent pas saisir que mon père était toujours caché dans le cagibi.
Alors mon grand-père a demandé aux agents s’il pouvait me recueillir et m’emmener. En effet, bien que juif et polonais, il était relativement âgé et la police française n’arrêtait pas encore les personnes de plus de cinquante-cinq ans. Par ailleurs, les policiers du treizième arrondissement n’avaient pas de mandat d’arrêt pour une personne qui résidait dans le neuvième. Mon grand-père ne risquait rien chez nous.
Les policiers ont hésité puis ont accepté. Ils ont fait signer une décharge à mon grand-père. Ils auraient très bien pu m’emmener malgré tout puisqu’ils avaient mission d’arrêter toute la famille.
Je n’ai jamais revu ma mère.
Soixante-dix ans plus tard, la blessure est toujours ouverte
Deux ans d’Asie
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À Delhi, je me suis rendu aux studios d’All India Radio –la télévision n’existait pas encore- où l’on m’a interviewé pour raconter mon voyage, pour cela, l’on m’a remis quelques dizaines de roupies. Par la suite, dans chaque ville traversée, je me présentais aux stations locales de All India Radio et le même scénario se reproduisait, tout comme, je l’avais fait au Pakistan, auparavant.
Lors d’une des émissions où j’étais interviewé, en anglais. Ici au Pakistan. En Inde, ce fut de plus en plus facile car je pouvais me prévaloir de mes expériences passées.
De même, dans chacune des villes, les journaux locaux en anglais publiaient un article sur mon périple ce qui me rapportait quelques roupies de plus.
Ces petits revenus ajoutés à des invitations à dîner –je tolérais très bien et même j’appréciais la nourriture indienne- me permettaient de m’en sortir plus ou moins facilement.
De Delhi, je me suis rendu à Agra, passage obligé par le Taj Mahal, seul endroit du voyage où j’ai côtoyé quelques touristes, pour la plupart indiens et en nombre fort limité.
Puis la descente du Gange par petites étapes. Allahabad, Kampur, Lucknow, Patna.
Avant d’arriver à Patna, j’ai visité les ruines de Khajuraho où l’on trouve une vingtaine de temples des douzième et treizième siècles entièrement sculptés de personnages dans les positions les plus pornographiques : Illustrations du Kama-Sutra, réalisées à des fins religieuses et qui célèbrent la procréation sacrée des divinités hindoues. J’étais absolument le seul visiteur ! Je savais que ces temples méritaient le détour car je m’étais documenté auparavant.
J’avais pris des photos superbes mais, à mon retour en France, un journaliste qui s’est avéré véreux, s’est débrouillé pour sympathiser avec moi et m’a emprunté mes photos puis il a disparu. J’ai donc voyagé avec un appareil photo 24×36 qu’on ne m’a, d’ailleurs, jamais volé. Bien souvent, je me serrais la ceinture pour acheter des pellicules que j’ai fait développer en France à mon retour.
À Patna, je suis resté assez longtemps. J’ai été l’hôte d’un swami. Patna se trouve dans le Bihar, l’état où le Bouddha est parvenu à l’Illumination. Ce swami m’a emmené voir les grottes où aurait vécu le Bouddha et le fameux site de Bodghaya qui est devenu un lieu de pèlerinage très prisé des Bouddhistes du monde entier depuis quelques décennies.
À Patna, sur la base d’un stupa bâti à un endroit où le Bouddha aurait médité. Au centre : Gopal Bose, le photographe avec qui j’ai sympathisé et qui a créé l’album dont je parle par ailleurs. A droite, un bonze.
À Patna, un jour, je vois un homme allongé, par terre qui ne bougeait plus. Je demande alors à un passant ce qui se passe « Ah ! oui, il est mort. » Un cadavre pouvait rester dans la rue sans que cela émeuve les gens.
Gopal ne savait pas écrire en français, aussi il avait imaginé la dédicace, m’a demandé de la lui traduire en français et l’a recopiée.
Toujours à Patna, j’ai aussi rencontré un photographe local. Nous sympathisons, il alerte tous ses collègues de l’Association des Photographes de Patna et ils organisent un grand banquet en mon honneur. En fait pas seulement en mon honneur car, chose extraordinaire, à l’époque, pour une ville de province, un autre étranger de passage se trouvait là en même temps que moi : le jeune Allemand déjà mentionné. J’ai aussi rencontré un député local et les notables de la ville. Mon passage à Patna a fait l’objet d’un album de photos gentiment réalisé par mon ami photographe local ce qui me permet d’illustrer ce récit car je l’ai conservé tout au long de ces années. On m’y voit porter différentes tenues indiennes.